Construction d’une Raffinerie d’Or au Mali : Aperçu des implications Juridiques et Fiscales sur les Opérations Minières
Construction d’une Raffinerie d’Or au Mali : Aperçu des implications Juridiques et Fiscales sur les Opérations Minières
Dr. Ahamadou Mohamed MAIGA
“ Une nation est indépendante et puissante dans la mesure où son industrie est indépendante et ses pouvoirs productifs sont développés. » Friedrich LIST.
Résumé :
Cet article propose une analyse juridique et stratégique des nouvelles obligations imposées aux compagnies minières au Mali dans le contexte de la construction d’une raffinerie nationale d’or. Il s’inscrit dans une dynamique de souveraineté économique visant à renforcer la maîtrise locale de la chaîne de valeur minière.La législation minière actuelle impose désormais aux opérateurs d’effectuer le traitement et l’affinage de leur production sur le territoire national, en priorité dans des unités publiques. Elle permet également à l’État de percevoir ses revenus miniers, dividendes prioritaires et taxe ad valorem, sous forme physique d’or brut. Cette évolution bouleverse les schémas traditionnels d’exploitation et appelle une réorganisation profonde des chaînes logistiques, des modèles financiers, ainsi qu’une relecture des engagements contractuels, notamment les contrats de vente à long terme.
L’article examine les ajustements nécessaires à la stratégie opérationnelle des entreprises minières, les risques juridiques potentiels, ainsi que l’importance d’un dialogue renforcé avec les autorités maliennes. Il souligne l’urgence d’instaurer des cadres de concertation structurés entre acteurs publics et privés afin d’assurer une transition fluide vers un modèle extractif plus intégré, transparent et équitable.
INTRODUCTION
Face aux impératifs économiques, les autorités maliennes érigent les ressources minières en levier central de leur stratégie de développement et de souveraineté économique[1]. Ce positionnement assumé, que certains qualifient de nationalisme des ressources[2], s’inscrit dans un contexte marqué par une forte pression sur les finances publiques[3], la redéfinition des alliances économiques classiques et une volonté affirmée de réduire la dépendance vis-à-vis de l’extérieur.
Dans ce cadre, le secteur minier est perçu non seulement comme une source immédiate de revenus fiscaux[4], mais aussi comme un catalyseur potentiel de transformation structurelle. La réforme du Code minier de 2023[5], combinée à l’adoption d’un cadre réglementaire spécifique au contenu local[6], illustre cette ambition de reprise en main stratégique du secteur. L’objectif est clair : maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur, de l’exploration à la commercialisation, en passant par le traitement local des ressources, tout en renforçant le contrôle étatique sur les activités des opérateurs miniers. Il s’agit de faire du secteur minier un véritable moteur de développement à la fois macroéconomique (accroissement des recettes publiques, création d’emplois formels, développement d’infrastructures) et microéconomique (promotion des PME locales, transfert de compétences, intégration des communautés locales).
C’est dans ce contexte de volonté affirmée de valorisation locale des ressources minières que les autorités maliennes ont annoncé, lors du Conseil des ministres du 28 mai 2025, la signature d’un protocole d’accord avec la société russe Yadran. Ce protocole d’Accord porte sur la construction et l’opérationnalisation d’une raffinerie d’or d’une capacité annuelle de 200 tonnes. L’État malien y détient une participation majoritaire de 62 % du capital social, marquant ainsi une étape stratégique dans sa politique de souveraineté économique et de maîtrise de la chaîne de valeur aurifère. Le 16 juin 2025, le Président de la Transition a procédé à la pose de la première pierre de l’usine, lançant officiellement la phase de construction de cette infrastructure stratégique[7].
L’entrée en activité de la raffinerie devrait marquer, d’une part, une nouvelle dynamique dans la valorisation locale de l’or, et d’autre part, un impact significatif sur les opérations des sociétés minières au Mali, notamment en lien avec les nouvelles exigences introduites par la réforme minière de 2023. A ce titre, il est donc urgent pour les compagnies minières de prévoir différents scénarii afin d’atténuer les impacts liés à l’opérationnalisation effective de l’usine de raffinage sur leur activité d’exploitation d’or.
Dans cette dynamique, la présente réflexion vise à offrir un aperçu global des exigences introduites par la réforme minière de 2023 en matière d’affinage et de raffinage des minerais au niveau national. Elle s’intéresse particulièrement à la possibilité, désormais renforcée, pour l’État du Mali d’imposer aux sociétés minières la cession d’une partie de leur production à la nouvelle société de raffinage nationale, dans laquelle il détient une participation majoritaire.
Une telle mesure pourrait avoir des impacts significatifs sur les contrats de commercialisation existants, notamment les off-take agreements[8], en remettant en cause certaines clauses de livraison, de volumes ou de fixation des prix négociées avec des partenaires internationaux. Cette situation soulève des enjeux juridiques, économiques et contractuels qui méritent une attention particulière dans un contexte de redéfinition des rapports entre l’État et les opérateurs privés du secteur aurifère.
- De l’obligation d’affinage et de transformation locale, à la revue des modalités de perception des dividendes prioritaires et de la Taxe Ad Valorem (TAV)
La réforme minière de 2023 consacre une double orientation stratégique visant à renforcer le contrôle de l’État sur la chaîne de valeur aurifère : d’une part, l’obligation imposée aux sociétés minières de procéder à l’affinage et à la transformation locale des minerais (1.1) ; d’autre part, l’instauration de mécanismes de perception en nature des revenus miniers, à travers la récupération des dividendes prioritaires et le paiement de la taxe ad valorem (1.2).
- L’obligation d’affinage et de transformation des minerais au Mali
Dans le cadre de sa stratégie de rupture avec le modèle extractiviste fondé sur l’exportation de matières premières brutes, le Mali place désormais la valorisation locale des minerais au cœur de ses priorités économiques. Cette orientation répond à un double impératif : renforcer la souveraineté économique nationale et stimuler la transformation structurelle de l’économie, notamment par l’intégration de segments à forte valeur ajoutée dans la chaîne de production minière.
C’est dans cet esprit que l’article 25 de la loi minière de 2023[9] impose aux sociétés titulaires de titres miniers d’exploitation l’obligation de procéder à l’affinage ou à la transformation de leurs produits miniers au Mali, dans des unités appartenant à l’État. À défaut d’infrastructures publiques disponibles, une dérogation expresse peut être accordée par arrêté conjoint des ministres en charge des Mines et des Finances, permettant alors aux entreprises de recourir à des unités privées, à condition que celles-ci soient implantées sur le territoire national.
En instaurant cette hiérarchie réglementaire, le législateur consacre la primauté des infrastructures publiques, à travers lesquelles l’État entend centraliser le traitement de l’or, mieux contrôler les volumes raffinés, et ainsi renforcer la traçabilité, la transparence fiscale et la gouvernance du secteur. Toutefois, la flexibilité introduite permet de maintenir une continuité opérationnelle, tout en assurant que la valeur ajoutée reste captée localement. Des structures telles que Kankou Moussa ou Marena Gold, déjà actives au Mali, pourraient ainsi compléter ce dispositif lorsque les capacités publiques sont indisponibles ou insuffisantes.
Sur le plan pratique, cette exigence appelle des ajustements notables de la part des opérateurs miniers. Ils devront adapter leur logistique interne pour acheminer leur production vers les unités nationales de traitement, réviser leurs contrats de vente à long terme, off-take agreements, en tenant compte de cette contrainte nouvelle, et intégrer les conséquences fiscales liées au traitement local. En effet, la transformation des minerais d’or au Mali peut influencer la valeur de référence à l’exportation, la base d’imposition, ainsi que la déductibilité des charges liées au processus de transformation.
Pour assurer une application efficace de cette disposition, plusieurs conditions devront être réunies. Il conviendra notamment de préciser les modalités d’octroi des dérogations, de définir des critères objectifs de disponibilité des unités publiques, et d’instaurer un cadre tarifaire clair et compétitif pour éviter toute distorsion commerciale. Par ailleurs, l’unité de raffinage publique devra être mise aux normes internationales en matière de sécurité, de performance et d’environnement, afin de garantir la confiance des investisseurs et la compétitivité du secteur malien.
L’obligation d’affinage ne se limite pas au traitement physique des minerais. Elle s’accompagne d’un dispositif rigoureux de suivi et de traçabilité, consacré par l’article 46 du décret d’application du Code minier[10]. Celui-ci impose aux titulaires de titres miniers de soumettre un rapport d’affinage dans un délai de sept (7) jours à compter de la réception des résultats d’analyse issus de l’unité de traitement. Ce rapport constitue un outil central de contrôle administratif, permettant aux autorités compétentes de disposer d’une information claire, actualisée et vérifiable sur les volumes, la qualité et la destination des substances valorisées localement. Il contribue ainsi à renforcer la redevabilité des opérateurs, à détecter d’éventuels écarts entre les déclarations et les résultats techniques, et à lutter contre les pertes fiscales liées à la sous-déclaration ou à la fraude.
La mise en œuvre de cette obligation suppose, du côté des entreprises, l’existence de systèmes de collecte, de traitement et de transmission de données fiables, ainsi qu’une collaboration étroite avec les unités de raffinage agréées. Le délai de sept (7) jours, bien que contraignant, témoigne de la volonté des autorités de réduire les délais de reporting et d’améliorer leur réactivité dans le contrôle des flux miniers. Le non-respect de cette obligation peut entraîner des sanctions administratives ou financières, conformément aux dispositions réglementaires en vigueur. Ainsi, à travers cette disposition, le législateur affirme sa volonté de mettre en place un mécanisme de régulation robuste, qui ne se limite pas à l’ancrage local des activités de transformation, mais s’inscrit dans une logique de bonne gouvernance, de transparence et d’optimisation des recettes extractives.
Dans cette même dynamique de régulation proactive, l’article 117 du décret d’application[11] introduit une exigence de transparence en matière de financements garantis par la production future, et de ventes à terme. Toute société minière souhaitant contracter un financement adossé à sa production ou conclure des accords de vente à terme est désormais tenue d’en informer expressément les ministres chargés des Mines et des Finances. Cette obligation vise à éviter que des engagements financiers ou commerciaux à long terme, souvent conclus en dehors du territoire national, échappent à la surveillance de l’État. De tels mécanismes, comme les off-take agreements avec nantissement ou exclusivité, peuvent restreindre la marge de manœuvre de l’État en matière de contrôle de la production, de commercialisation et de fiscalisation.
L’obligation de notification permet ainsi à l’administration d’évaluer en amont les risques macroéconomiques, d’anticiper les effets budgétaires potentiels de tels engagements, et, le cas échéant, de formuler des réserves ou des conditions d’approbation. Cette disposition contribue à l’affirmation d’un cadre de souveraineté contractuelle, où l’État cherche à devenir un acteur informé et stratégiquement positionné, capable d’intervenir sur les engagements qui engagent directement les ressources minières nationales. En période de forte volatilité des cours de l’or et d’incertitude économique mondiale, cette mesure permet de mieux préserver l’intégrité des flux financiers issus du secteur minier et d’aligner les engagements commerciaux privés avec les priorités publiques.
Dans le prolongement de cette logique de recentrage stratégique de l’État sur la maîtrise de la chaîne de valeur minière, une attention particulière est également portée à la perception effective des revenus extractifs, notamment à travers la récupération des dividendes prioritaires et le paiement de la taxe ad valorem en nature.
- Récupération des dividendes prioritaires et perception de la Taxe Ad Valorem (TAV) en nature : vers une opérationnalisation effective de l’usine de raffinage d’or
La reprise du contrôle sur les flux physiques et financiers issus de l’exploitation des substances minières, particulièrement l’or, constitue un axe prioritaire de la nouvelle dynamique des autorités maliennes. Cette ambition se manifeste notamment par la volonté de l’État d’assurer la récupération effective de ses dividendes prioritaires, ainsi que la perception en nature de la TAV, deux (2) leviers qui visent non seulement à renforcer les recettes publiques, mais aussi à alimenter l’usine nationale de raffinage en or brut, afin de garantir sa viabilité économique et son rôle structurant dans la chaîne de valeur aurifère.
La réforme minière de 2023, au-delà des mécanismes traditionnels de participation[12], offre désormais à l’État la possibilité de percevoir tout ou partie de ses dividendes prioritaires en nature, au titre des actions gratuites (10%) qu’il détient dans les sociétés minières[13]. En vertu de l’article 126 du décret d’application « (…) une lettre du ministre chargé des finances informe la société d’exploitation trois (3) mois avant la tenue de l’Assemblée qui décide de la distribution, de percevoir ses dividendes en nature. Un arrêté du ministre des finances fixe les modalités de collecte, d’enlèvement, de transport, de stockage et de comptabilisation du doré (…) ».
Le mécanisme de calcul de cette part en nature est basé sur des paramètres financiers de référence et des données de marché vérifiables. En effet, le montant des dividendes à verser à l’État est d’abord déterminé en valeur monétaire, selon les résultats financiers de la société minière concernée. Ce montant, exprimé en francs CFA (XOF), est ensuite converti en équivalent or, sur la base du cours international de l’once d’or et du taux de change USD/XOF, tous deux arrêtés à la date de référence du 31 mars de l’année N+1, suivant l’exercice comptable concerné. Le prix de l’once d’or est celui du London PM Fixing, utilisé comme standard mondial pour les transactions aurifères. Il est converti en monnaie locale en appliquant le taux de change du jour. Ce prix de référence permet de déterminer la valeur d’une once d’or en francs CFA. La quantité d’or (en onces) à livrer à l’État au titre des dividendes prioritaires est alors obtenue en divisant le montant dû (en XOF) par la valeur d’une once d’or (elle-même convertie du dollar américain vers le franc CFA). Autrement dit, plus la valeur de l’once est élevée au moment du calcul, plus la quantité d’or à livrer sera faible pour un même montant de dividende ; et inversement, une baisse du prix international entraînera une augmentation du volume à céder en nature.
Pour mieux comprendre l’application du mécanisme de perception des dividendes prioritaires en nature tel que prévu par la réforme minière de 2023, prenons deux hypothèses illustratives reposant sur des paramètres de marché différents.
- Dans un premier scénario, supposons qu’une société minière doive verser à l’État un dividende prioritaire d’un montant de deux milliards de francs CFA (2 000 000 000 FCFA). À la date de référence du 31 mars de l’année N+1, le prix de l’once d’or sur le marché international, selon le fixing de Londres (London PM Fixing), est de 2 200 dollars américains, avec un taux de change officiel de 600 FCFA pour un dollar. La valeur d’une once d’or exprimée en monnaie locale s’élève alors à 1 320 000 FCFA (2 200 × 600). En divisant le montant dû par cette valeur de référence, on obtient une quantité de 1 515 onces troy d’or brut à livrer à l’État. Ce volume représente la contrepartie physique équivalente au montant dû en numéraire.
- Dans un second scénario, le même montant de dividende (2 milliards FCFA) est dû, mais le prix international de l’or connaît une baisse, atteignant 1 800 dollars l’once, avec un taux de change identique de 600 FCFA pour un dollar. La valeur d’une once d’or en monnaie locale baisse alors à 1 080 000 FCFA. Le montant en numéraire étant inchangé, la quantité d’or à livrer à l’État augmente mécaniquement : elle atteint 1 852 onces d’or.
Ces deux exemples mettent en évidence un principe fondamental du mécanisme, la quantité d’or livrée en nature à l’État varie en fonction des paramètres du marché international. Plus le cours de l’or est élevé, plus la quantité d’or à livrer diminue pour un même montant dû. Inversement, lorsque les prix baissent, la quantité d’or exigible augmente. Ce système assure ainsi une indexation transparente des obligations des compagnies minières, tout en garantissant à l’État un niveau de ressources adossé à la valeur réelle de l’or sur le marché mondial.
Ce mécanisme assure à l’État une rémunération transparente et traçable de ses droits actionnariaux, tout en renforçant sa capacité à capter physiquement une partie de la production aurifère nationale, notamment en vue d’alimenter la raffinerie d’or publique ou de constituer des réserves stratégiques.
Dans même logique, l’article 194 du décret d’application dispose que « (…) l’Etat se réserve le droit de percevoir la contrepartie de la TAV en nature (doré – or brut avant affinage (…). » La TAV, liée à la valeur des produits miniers extraits ou vendus, est déterminée en fonction de la nature et de la valeur du produit extrait. Elle est calculée en pourcentage de la valeur du chiffre d’affaires du produit extrait de la production valorisée et fixée, en ce qui concerne l’or conformément au tableau suivant :
Prix spot de l’once d’or (USD) | Taux de la taxe Ad Valorem |
Inférieur ou égal à 1 000 USD | 3 % |
Supérieur à 1 000 USD et inférieur ou égal à 1 300 USD | 3,5 % |
Supérieur à 1 300 USD et inférieur ou égal à 1 600 USD | 4 % |
Supérieur à 1 600 USD et inférieur ou égal à 2 000 USD | 6 % |
Supérieur à 2 000 USD et inférieur ou égal à 2 500 USD | 7,5 % |
Supérieur à 2 500 USD | Taux majoré de 0,5 % par tranche de 400 USD supplémentaires |
La décision de percevoir la taxe ad valorem (TAV) en nature est formalisée par un arrêté conjoint des ministres en charge des Mines, des Finances et des Domaines, notifié à la société d’exploitation concernée. La collecte de l’or, sous forme de doré, en contrepartie du montant de la TAV dû, doit intervenir avant la fin de chaque semestre de l’année en cours. Un arrêté ministériel spécifique, signé par les ministres en charge des Mines et des Finances, fixe les modalités pratiques relatives à la collecte, à l’enlèvement, au transport, au stockage et à la comptabilisation du doré perçu au titre de la TAV.
L’assiette de la TAV est déterminée sur la base des quantités d’or raffiné effectivement produites, et fait l’objet de réconciliations et de régularisations comptables à l’occasion de la clôture annuelle des comptes, au 31 décembre de l’année concernée.
Dans le cadre de la perception en nature de la taxe ad valorem (TAV), l’État convertit le montant dû en francs CFA en une quantité équivalente d’or à livrer. Ce calcul repose sur deux données de référence :
- Le prix de l’once d’or au fixing de Londres (London PM Fixing) à la fin de chaque semestre ;
- Le taux de change USD/XOF publié par la BCEAO à la date de la transaction.
La quantité d’or (en onces) est obtenue en divisant le montant de la TAV par la valeur en francs CFA d’une once d’or.
Ce mécanisme permet à l’État de recevoir directement une partie des revenus miniers sous forme physique, renforçant le contrôle, la transparence et la traçabilité des flux aurifères.
- Approches d’adaptation des compagnies minières et cadre de dialogue avec l’Etat : vers une redéfinition des rapports contractuels et fiscaux
L’ensemble des réformes introduites par le Code minier de 2023 et ses textes d’application, en particulier les dispositions relatives à l’obligation d’affinage local, à la perception en nature des dividendes prioritaires et de la taxe ad valorem (TAV), impose aux sociétés minières un profond ajustement de leurs pratiques opérationnelles, juridiques, contractuelles et fiscales.
L’opérationnalisation prochaine de la raffinerie nationale d’or renforce cette exigence d’adaptation, dans un contexte où l’État affirme une volonté stratégique de reconquête de la chaîne de valeur minière. Dans cette nouvelle architecture de gouvernance, les compagnies minières ne peuvent se contenter d’une logique de conformité minimale : elles sont appelées à s’engager dans une dynamique de co-construction et de dialogue structuré avec l’État, afin d’assurer la sécurité juridique de leurs opérations tout en participant à la réalisation des objectifs de souveraineté économique.
- Repenser la stratégie opérationnelle et les processus internes face aux nouvelles exigences
La réforme minière de 2023 instaure un triptyque d’obligations structurant pour les compagnies minières opérant au Mali : obligation d’affinage local dans des unités publiques ou privées agréées, possibilité pour l’État de percevoir ses dividendes prioritaires en nature, et perception de la taxe ad valorem (TAV) sous forme de doré. Ces nouvelles exigences marquent une rupture avec le modèle historique d’exportation directe des minerais bruts, et appellent une profonde révision de l’organisation interne des opérateurs.
D’un point de vue logistique, les entreprises sont désormais tenues d’acheminer une part de leur production aurifère vers des installations de traitement situées sur le territoire national. Cela implique la reconfiguration des circuits de transport, l’adaptation des infrastructures de manutention et de stockage, ainsi que la synchronisation des calendriers de production et de livraison avec les capacités opérationnelles des unités de raffinage nationales.
Sur le plan financier, la cession d’une partie de la production en nature (qu’il s’agisse des dividendes ou de la TAV) modifie les flux de trésorerie et la dynamique de valorisation des actifs miniers. Les compagnies doivent ajuster leurs politiques de prix internes, intégrer ces prélèvements dans leurs prévisions budgétaires, et revoir leurs modèles de déclaration de la valeur à l’exportation, autant d’éléments ayant un impact direct sur la base fiscale et les obligations déclaratives.
Cette mutation réglementaire impose une transformation organisationnelle des structures internes. Les entreprises doivent se doter de systèmes d’information robustes pour assurer la collecte, la fiabilité et la transmission rapide des données d’affinage, conformément à l’exigence de soumission d’un rapport dans les sept (7) jours suivant la réception des résultats d’analyse. Une veille stratégique constante est également requise pour suivre l’évolution des cours mondiaux de l’or, les taux de change (USD/XOF), et les ajustements réglementaires susceptibles d’affecter la production ou la fiscalité.
Par ailleurs, cette réorientation du modèle économique doit s’accompagner d’un renforcement des mécanismes de conformité ESG (Environnement, Social, Gouvernance). Le respect des nouvelles règles devient un critère déterminant dans l’évaluation de la performance extra-financière des opérateurs. Il est donc essentiel d’y intégrer la formation continue des équipes juridiques, fiscales et opérationnelles, la documentation rigoureuse des flux de production, et la gestion proactive des risques réputationnels liés à d’éventuels manquements.
- Réviser les engagements contractuels et renforcer le dialogue institutionnel
L’introduction de mécanismes de cession obligatoire en nature constitue un défi majeur pour la structuration contractuelle des compagnies minières. En particulier, les contrats de commercialisation à long terme, tels que les off-take agreements, peuvent entrer en contradiction avec les obligations nationales, notamment en matière de volumes livrables, de délais de livraison ou de clauses d’exclusivité.
Ces accords, souvent négociés dans le cadre de financements structurés ou d’engagements préalables à l’exploitation, doivent être réexaminés à la lumière des nouvelles contraintes réglementaires. Les entreprises auront à cœur d’intégrer des clauses de flexibilité contractuelle permettant de prioriser les obligations nationales, d’ajuster les volumes disponibles, ou encore de répartir les risques liés à la variabilité du prélèvement par l’État.
La compatibilité entre les engagements internationaux et les nouvelles règles nationales constitue un point de vigilance juridique important. La coexistence de clauses d’arbitrage, de choix de juridiction étrangère, ou de paiement en monnaie convertible avec des obligations de livraison physique au niveau national ouvre la voie à des conflits de lois, voire à des procédures contentieuses devant des juridictions internationales. Il devient donc impératif pour les opérateurs d’anticiper ces risques et de bâtir une stratégie de gestion contractuelle rigoureuse.
En parallèle, la montée en puissance de l’État en tant qu’acteur économique dans la chaîne de valeur (via ses participations, sa régulation, ou ses infrastructures publiques) exige un dialogue renouvelé, structuré et permanent avec les autorités nationales. Les ministères des Mines, des Finances et des Domaines deviennent des interlocuteurs stratégiques, non seulement pour l’interprétation des textes, mais aussi pour la mise en œuvre opérationnelle des obligations.
Les compagnies ont tout intérêt à participer activement à la création de cadres institutionnels de concertation : comités mixtes d’application, plateformes de dialogue public-privé, guichets administratifs uniques pour l’affinage et la perception en nature. Ces dispositifs permettront de fluidifier les échanges, de coconstruire les modalités pratiques (plannings de livraison, modalités de stockage, critères de dérogation), et d’assurer une meilleure prévisibilité juridique.
L’adaptation des compagnies minières à la nouvelle configuration du secteur aurifère malien ne peut se faire sans une refonte des outils contractuels, une diplomatie proactive vis-à-vis des parties prenantes étatiques, et une capacité d’anticipation stratégique des risques juridiques et commerciaux liés à la souveraineté économique affirmée du Mali.
- Conclusion
La construction d’une usine nationale de raffinage d’or au Mali, conjuguée aux nouvelles exigences introduites par la réforme minière de 2023, consacre un tournant stratégique dans la gouvernance du secteur aurifère. L’État malien affirme désormais son rôle d’acteur économique central, en cherchant à internaliser une part plus importante de la chaîne de valeur, à sécuriser ses revenus extractifs et à asseoir sa souveraineté sur les ressources naturelles du pays.
Ce changement de paradigme impose une transformation en profondeur des pratiques des compagnies minières. Elles doivent non seulement adapter leurs circuits logistiques et financiers aux nouvelles obligations d’affinage local et de perception en nature, mais également repenser leur gouvernance interne, leurs engagements contractuels et leur stratégie de conformité ESG. La mise en œuvre opérationnelle de ces mesures appelle une approche proactive, fondée sur l’anticipation, la flexibilité et le dialogue.
Dans ce contexte, la construction de l’usine de raffinage ne constitue pas seulement un enjeu technique ou industriel : elle symbolise une volonté politique de refondation du contrat minier national. Pour que cette transition soit porteuse de développement durable, il est essentiel que l’État maintienne un cadre réglementaire clair, stable et concerté, garantissant à la fois la sécurité juridique des investisseurs et la réalisation des objectifs économiques et sociaux du pays.
La réussite de ce projet dépendra ainsi de la capacité des acteurs publics et privés à construire ensemble un modèle partenarial renouvelé, fondé sur la transparence, la co-responsabilité et l’efficacité. C’est à cette condition que la raffinerie d’or du Mali pourra devenir un levier stratégique de souveraineté, de création de richesse et d’équité dans la répartition des retombées minières au bénéfice de la Nation.
[1] Plusieurs actions menées par le gouvernement du Mali pourraient s’inscrire dans ce cadre, notamment l’audit du secteur minier, la réforme minière, la renégociation de certains contrats miniers ou encore la construction de l’usine de raffinage d’or en cours. Lors de la cérémonie du 16 juin 2025, le Président de la Transition affirmait que «(…) la réalisation de la raffinerie d’or au Mali est une affirmation de notre souveraineté économique et cela permet non seulement de contrôler et surtout de suivre la traçabilité de la production d’or … de rentabiliser les revenus tirés de l’or et de ses produits dérivés. » Cf. Le Mali pose la première pierre de sa grande raffinerie d’or nationale, Site du Ministère des Mines, 19 juin 2025.
[2] Cf. Nationalisme des ressources : le Burkina Faso sur la même voie que le Mali ? Agence Ecofin, 13 mai 2025 ; Marie de Verges, Au Sahel, le nationalisme des ressources est plus une affaire d’argent qu’une question idéologique, Le Monde, 3 juillet 2025.
[3] Le Projet de Loi de Finances 2025 (Pg.12) prévoit une hausse des dépenses budgétaires, avec des crédits de paiement s’élevant à 3 229,886 milliards FCFA, contre 3 070,740 milliards FCFA dans la loi de finances rectificative de 2024. S’agissant des autorisations d’engagement, elles atteignent 972,754 milliards FCFA, enregistrant ainsi une augmentation de 28,998 milliards FCFA par rapport à l’exercice 2024. Les dépenses du budget général pour 2025 sont évaluées à 3 107,247 milliards FCFA dont 2 389,99 milliards FCFA au titre des dépenses ordinaires et 717,248 milliards FCFA au titre des dépenses en capital, soit une progression de 5,39% par rapport à la loi de finances 2024 rectifiée (Pg.13).
[4] Cf. Rapport ITIE 2023 (Pub. Juin 2024) « Les revenus générés par le secteur extractif – hors sous-traitants – totalisent un montant de 644 milliards FCFA pour l’année 2023 (…) La contribution du secteur extractif dans les recettes de l’Etat est de 27,8%. »
[5] Loi n°2023-040 du 29 août 2023 portant Code minier en République du Mali.
[6] Loi n°2023-041 du 29 août 2023 relative au contenu local dans le secteur minier en République du Mali ;Décret n°2024-0397/PT-RM fixant les conditions et les modalités d’application de la loi n°2023-041 du 29 août 2023 relative au contenu local dans le secteur minier.
[7] Il convient de rappeler que deux sociétés de raffinage d’or sont déjà opérationnelles au Mali, à savoir Kankou Moussa et Marena Gold. Dans ce contexte, la décision de mettre en place une nouvelle raffinerie d’or détenue majoritairement par l’État ne répond pas uniquement à des considérations économiques ; elle revêt également une dimension politique « fruit de la coopération entre le Mali et la République fédérale de Russie (…). »
[8] Cf. Luiz Fernando Distadio, Andrew Ferguson, Mine offtake contracting, strategic alliances and the equity market, Journal of Commodity Markets, Vol. 27, Sept. 2022.
[9] Article 25 du Code minier « les titulaires de titre minier d’exploitation sont tenus de procéder à l’affinage ou à la transformation des produits miniers dans les unités appartenant à l’État installées au Mali. A défaut d’avoir des unités d’affinage de l’État, une autorisation écrite peut leur être accordée par arrêté interministériel des ministres chargé des mines et des finances pour effectuer ces opérations par d’autres unités d’affinage installées au Mali. »
[10] L’article 46 du décret d’application : « (…) le rapport d’affinage est à produire dans un délai de sept (7) jours à compter de la date de réception des résultats d’affinage (…).»
[11] Article 117 du décret d’application : « le titulaire du permis d’exploitation qui envisage de recourir à un financement en utilisant la production à terme comme garantie et ou d’effectuer des ventes à terme, est tenu d’informer expressément les ministres chargés des mines et des finances (…). »
[12] Cf. Articles 78 à 82 du Code minier.
[13] Article 79 du Code minier : « lorsqu’au titre d’une année d’activité, un bénéfice net comptable est constaté par l’assemblée générale de la société d’exploitation, celle-ci vote le versement d’un dividende prioritaire à l’Etat, égal à 10% dudit bénéfice diminué uniquement des montants affectés en réserves légales conformément au droit applicable au titre de sa participation gratuite prévue (…) Toutefois, l’État se réserve le droit de percevoir en partie ou en totalité les dividendes en nature (…). »